Monsieur et trés honoré Patron!
J’aurois eu plutot l’honneur de repondre à la courte et triste / Lettre que Vous m’avés adressée, si je m’étois trouvé à Berne dans / le tems qu’elle arriva. Mlle Engel, qui dans mon Absence / executa la Commission de l’incluse, ne m’a laissé que l’occasion / de tirer de mr Frisching un aveu complet de la reception; je / le pressai, et il me repondit que Oui, qu’il avoit reçû une reponse / à la Lettre qu’il eut l’honneur de Vous ecrire depuis Nion.
Il est inutile, Monsieur, de Vous protester la part que j’ai pris / a Votre
juste douleur, dans cette Occasion inattendue: je m’en / suis expliqué sans
reserve à l’ingrat Frisching: mais comme il ne
m’avoit
jamais favorisé d’une confidence particuliere de sa rélation avec Votre /
Maison, je fus obligé de le forcer à me donner quelques éclaircissemens / par
la Connaisssance qu’il me trouva de toute ses demarches passées. Ce n’est / pas assés, dire, qu’il a rougi: et je crains de dire
qu’il s’est melè de la pitié / a mon indignation: tout ce que je dois dire.
C’est, que par l’embaras / dans lequel mes perquisitions discours l’ont jetté, par l’humeur triste qui / le
posséde depuis son retour en Ville, et par les circonstances dont il /
cherchoit à s’armer, je dois juger qu’il a plutot manqué de Courage / que de
Volonté: Il s’est laissé étonner par des reflexions qui ne / devoient ni lui
paroitre nouvelles, ni l’arreter. Je ne juge pas à / quel point il doit sentir
le tort que cette Conduite lui fait chés moi: / il ne peut plus douter, que
l’estime que je garderai pour lui dependra / des soins qu’il prendra à
conserver la Votre. Je ne m’arrête plus / làdessu que
pour Vous ofrir, mon Cher Patron, tous mes petits services, si Vous / consentés
à pousser encore cette affaire; faites moi la justice de croire / qu’aucune
Consideration frivole ne m’arretera pour servir une
Personne à qui je / suis devoué, comme je dois Vous etre devoué; je sens la
répugnance
que Vous aurès à devenir demandeur de vos propres droits, et je ne demande / que la permission de presser les Parents, sans
qu’elle paroisse avoit été / donnée. Fautil que les honettes gens cedent
toujours; ne devroient ils pas / aussi faire un meme parti, dans une même
Cause? Mon cher Pere, qui a / eu
quelque Connaissance de cette affaire, avant qu’il m’eut donné l’occasion / de
lui en parler. Vous prie d’agréer, avec ses respects, l’assu l’ofré qu’il / fait d’entretenir ladessus, et de presser la
Personne, qui à le plus d’autorité / sur F…g et sa famille; et qu’il croit
incapables d’avoir dans cette occa-/sion, ni dans aucune autre sacrifié avec
Connaissance de Cause, l’honette / et le juste à l’utile. En attendant je crois devoir saisir les
occasions / de faire connaitre à quelques Personnes, intimement relatées à cet
(autrefois / si Cher) Coupable, le veritable Etat de la question, qui dans la premiere / Suprise
peutetre leur fut masqué.
Je comptois à mon retour en Suisse, de Vous raporter quelques nouveau-/tès de
la Litterature françoise; mais il ne m’en reste
point après cet les Nou-/velles que Mrs Achenwald et Zimmermann Vous
auront relateés. J’ai fait / la connaissance d’un assés grand Nombre de Sçavans
ou de Lettrés, par les se-/cours complaisans de Mr Racine, et d’un Abbé Durand, frere du Ministre
aux diverses Cours d’Allemagne, Homme d’un gout solide et d’une douceur de
Carac-/tere propre à produire la pieté et à la
Charité. On craint, on annonce un anime-/ment la decadence des Lettres en
France: et c’est peutêtre parmi ceux qui l’annon-/cent qu’il en faut chercher
les Autheurs. Depuis l’éternel Fontenelle, qui encore / plein de Vie, se survit
à Soimême, jusques aux Autheurs nouveaux Débutans / presque tous conviennent
que les établissemens pour le progrés des Sciences n’est / ne sont qu’à peine soutenûs sur un plan different de l’Esprit
de leur fonda-/tion. Je n’ai plus le tems aujourd[‘]hui d’écrire à Mr Zimmermann, je le ferai / par le premier ordinaire;
ajés la Bonté de lui faire agréer mes honneurs et / complimens, et à Mr Zi Achenwald, dont nous avons executé ici les ordres /
mais sans succés.
J’ai l’honneur d’etre toujours avec un / entier Devoûement / Monsieur et très / honoré Patron
Votre très humble et / très Obeissant Servit.eur / B. Tscharner
À Berne le 30. 9bre / 1751.
Mlle Enguel m’a chargé de Vous mander, qu’elle a fort bien reçû une cer-/taine Poëte si je ne me trompe de Mr. Frisching.
Vinzenz Bernhard Tscharner an Albrecht von Haller, 30. November 1751, in: Digitale Edition der Korrespondenz Albrecht von Hallers, hallerNet 2018-2023,https://hallernet.org/edition/haller-tscharner/letter/08723.